Puis les gestes pour saisir les biscottes qui arrivaient par milliers sur le grand tapis roulant devant nous et qu’il fallait placer habilement et rapidement dans les casiers une petite chaine qui se déplaçait tout contre notre ventre, debout. On se penchait le plus loin possible pour faire de l’avance et placer un max de biscottes, les douleurs dorsales et lombaires ne tardaient pas à s’installer, mais c’était le prix pour avoir quelques secondes de répit et recommencer ! Souvent les bouts des doigts étaient presqu’en sang, car les biscottes ça rape la peau à force ! Ma voisine de chaine, une belle et douce kabyle d’Algérie, m’avait montré comment éviter ça. On s’enroulait les doigts de papier collant, qui se déchirait au bout d’un moment et même si on avait la prise moins facile, c’était mieux… Le poste d’empaquetage papier au bout de cette chaine était moins pénible, j’y étais parfois. Ah ! j’en ai cauchemardé des années de ce tapis de milliers de biscottes qui m’envahissaient, m’engloutissaient la nuit ! Un détail m’est resté aussi depuis : plus jamais d’achat de chapelure, ayant constaté qu’on ramassait les débris et la poudre des biscottes sous les chaines pour remplir des paquets ! Mais ce qui m’est resté aussi de bien plus profond et ne m’a jamais lâché, c’est la découverte de l’ambiance ouvrière, ses petites anicroches comme sa profonde et chaleureuse solidarité, que ce soit sur la chaine ou autour de nos gamelles en fer dans la petite salle de repos. Je n’ai pas eu l’occasion d’y faire grève, mais j’étais prête à assumer par la suite, toutes celles qui suivirent pendant des années à Renault Flins… Alors certes, on peut conserver ces vécus dans nos mémoires, les retranscrire et les transmettre, mais rien ne remplacera le lieu où tout cela s’est passé… Et en plus, je ne l’avais pas trop senti ni vu à l’époque, mais ce beau bâtiment a vraiment une sacrée allure, de la classe … ouvrière. Fabienne Lauret, de passage à Gringoire en 1972 et retraitée Renault Flins. |
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